Violences alimentaires, systèmes alimentaires et alternatives : repenser le lien entre terre, société et alimentation
En Belgique comme en France, l’abondance alimentaire visible dans les supermarchés masque une réalité beaucoup bien plus crue : des millions de personnes vivent dans la précarité alimentaire, tandis que les chaînes de l’agro-industrie poursuivent la surproduction, la standardisation et la maximisation du profit. L’analyse de l’ASBL Ceinture Aliment-Terre Liégeoise (CATL) adopte le concept de « Bénédicte Bonzi », celui de violences alimentaires, pour décrire cette tension entre l’abondance effective et l’absence de droit réel à l’alimentation.
Bobbie Poplars
11/22/20253 min read


Qu’entend-on par violences alimentaires ?
Bénédicte Bonzi définit les violences alimentaires comme « la force intentionnelle ou non qui empêche une personne d’accéder à son droit à l’alimentation, ceci donnant lieu à des atteintes physiques ou morales ».
Dans l’analyse de la CATL, il est rappelé que ces violences sont d’abord physiques : carences, maladies liées à l’alimentation (anémie, hypertension, obésité) chez les publics en précarité. Elles sont aussi psychologiques : perte d’estime de soi, stigmatisation, culpabilité, isolement.
Ces violences ne s’exercent pas seulement sur les « bénéficiaires » de l’aide alimentaire, mais également sur les travailleurs, les producteurs, et plus largement sur la planète elle-même qui subit l’impact des modèles agro-industriels.
Le droit à l’alimentation bafoué
L’analyse rappelle que l’article 25 de la Déclaration universelle des droits de l’homme (1948) reconnaît le droit à l’alimentation.
Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) oblige les États à garantir un « accès régulier, permanent et libre à une nourriture adéquate et suffisante, correspondant aux traditions culturelles ».
Pourtant, dans un pays comme la Belgique, tandis que l’abondance est la règle en apparence, des centaines de milliers de personnes dépendent de l’aide alimentaire (600.000 en 2024, contre 90.000 il y a 20 ans) et restent exclues d’un système alimentaire véritablement juste. C'est assez interpellant car si le nombre de bénéficiaires continue d'augmenter il ne s'agira plus structurellement d'aide alimentaire mais d'aide humanitaire urgente au cœur de l'Europe !
L’aide alimentaire : nécessité mais piège structurel
L’aide alimentaire apparaît dans l’analyse comme un outil nécessaire, mais qui ne suffit pas : elle est devenue structurelle alors qu’elle était pensée comme ponctuelle. Elle maintient une logique d’urgence sans s’attaquer aux causes profondes de la faim.
L’analyse souligne que l’aide alimentaire peut se trouver complice du système agro-industriel : par exemple, la transformation des invendus en don, subventionnée, relâche la pression sur ce modèle productiviste.
Le système agro-alimentaire comme cadre des violences
L’analyse de la CATL pointe les mécanismes : surproduction, standardisation, domination des multinationales, extraction de richesses agricoles au profit d’une minorité, appauvrissement des producteurs. Ce système génère des violences à tous les niveaux : producteurs, consommateurs, environnement.
Ainsi, les jardins solidaires, les circuits courts, les productions locales ne sont pas des “options” anecdotiques : ils sont partie d’un contre-modèle à ce système dominant.
Alternatives et pistes pour sortir du cercle
L’analyse appelle à :
Résister à la logique d’assistanat en transformant l’aide alimentaire en solidarité structurée et non en charité traditionnelle.
Relocaliser la production, renforcer les filières courtes, encourager une alimentation de proximité et de qualité.
Réinscrire l’alimentation dans le social et le collectif, pas uniquement dans l’économique.
Imaginer une sécurité sociale de l’alimentation, qui garantirait structurellement le droit à l’alimentation et non seulement l’aide alimentaire.
Connecter agriculture durable, justice sociale et partage, car l’alimentation est à la fois un besoin individuel et un bien commun.
Pourquoi cela concerne aussi notre jardin solidaire ?
En tant que jardin solidaire, nous sommes à la croisée de plusieurs enjeux évoqués par l’analyse:
Nous produisons localement, nous créons du lien social, nous favorisons l'autonomie alimentaire.
Notre projet permet de réinterroger le modèle alimentaire dominant en proposant une alternative pratique.
Nous rendons visible que la faim ou la précarité ne sont pas uniquement des questions de quantité, mais aussi de dignité, de lien, et de proximité.
En nous inscrivant dans cette dynamique, nous ne faisons pas que “cultiver des légumes” : nous participons à une transformation sociale et culturelle. Nous donnons du sens à la devise que nous aimons :
« Chaque jour, nous nous améliorons un peu plus. »
Bibliographie & références
Bonzi, Bénédicte. La France qui a faim. Le don à l’épreuve des violences alimentaires. Paris : Le Seuil, 2023.
Oussak, Fatima. Pour une écologie pirate. Et nous serons libres. Paris : La Découverte, 2023.
Cohen, Sarah & Martin, Tanguy. De la démocratie dans nos assiettes. Construire une sécurité sociale de l’alimentation. Paris : Éditions Charles-Léopold-Mayer, 2024.
Ceinture Aliment-Terre Liégeoise (CATL). Analyse 5 : Face aux violences alimentaires, comment lutter contre la faim ? Liège, 2024.
Fédération des Services Sociaux (Belgique). Rapport “Faim de vie”, 2024.
Certenais, Kévin & Petersell, Laura. “Une sécurité sociale de l’alimentation.” Santé Conjuguée, n° 102, mars 2023.