Cultiver en zone post-industrielle, ce n'est pas la fin des haricots
Cultiver sur un sol qui a subit les retombées d'une activité industrielle n’est pas la fin des haricots loin de là. C’est un défi, mais un défi qui peut être relevé. Avec des analyses solides, des choix de plantes judicieux, des rotations intelligentes, des techniques de remédiation douce, et une vigilance constante, de belles récoltes peuvent naître même dans des terres affectées.
Bobbie Poplars
10/11/20254 min read


Dans de nombreuses zones post-industrielles, comme celle où se trouve notre jardin, les sols portent encore les traces des anciens métiers : dépôts atmosphériques de métaux lourds (plomb, cadmium, zinc, nickel…), rejets de fonderies, poussières industrielles, eaux usées. Mais loin d’être une condamnation, cette pollution peut être gérée et le potager peut y prospérer, avec prudence, savoir-faire et des méthodes adaptées.
L’état des sols pollués en Europe
Une étude récente publiée dans Science estimait que 14 à 17 % des terres cultivables dans le monde sont contaminées par au moins un métal lourd.
En Belgique, plusieurs potagers collectifs, y compris en Wallonie, se trouvent dans des zones où le sol présente des traces de métaux lourds, provenant d’anciennes industries ou d’anciennes pratiques de remblais. Le projet SANISOL, par exemple, travaille à mesurer ces pollutions et à aider les jardiniers à diminuer les risques.
En France, des recherches portent sur des sites pollués, l’irrigation, l’usage de cuivre, et la nécessité d’analyser les sols non seulement pour la quantité totale de métal, mais pour la biodisponibilité c’est-à-dire la fraction réellement utilisable ou disponible pour les plantes, et pour les humains.
Dans notre potager nous disposons d’analyses de sol montrant que certains légumes/fruits peuvent être cultivés sans risque, c’est déjà une excellente base. Voici ce qu’il faut vérifier ou mettre en place si vous avez envie de vous lancer dans un projet horticole:
Analyses régulières du sol : non seulement la quantité totale de métaux, mais pH, teneur en matière organique, texture, profondeur. Parce que les métaux lourds se comportent différemment selon ces facteurs.
Sélectionnez des légumes moins sensibles ou peu enracinés dans les couches les plus polluées du sol. Les légumes racines profonds risquent davantage de puiser les métaux.
Elevez des buttes de la terre saine ou amendée pour réduire l’exposition ou expérimentez la culture hors sol (tables de jardinage, jardinières, aquaponie...)
Nettoyage du matériel et des outils, évitez l’usage de matériaux pollués additionnels.
Lavage des légumes : enlevez la terre, lavez soigneusement les feuilles des légumes feuilles.
Phytoremédiation, phytoextraction, phytostabilisation, c'est quand les plantes dépolluantes viennent à notre secours
Ces techniques mettent les plantes au cœur de la dépollution. Plusieurs espèces sont utiles pour ce travail, pas uniquement pour nettoyer, mais aussi pour faire pousser des cultures intermédiaires, enrichir le sol, ou réduire les risques.
La moutarde (Brassica spp., Brassica juncea notamment) : très utilisée pour extraire métaux lourds comme le plomb, le chrome, le nickel, le cuivre. Elle accumule surtout dans ses parties aériennes, ce qui permet de récolter la plante, de l’enlever, et réduire la charge polluante.
Le tournesol : souvent mentionné pour sa capacité à absorber certains métaux lourds, utile dans les rotations ou en plantation de couverture.
Des plantes hyperaccumulatrices comme Noccaea caerulescens ( Thlaspi caerulescens) : très performante pour le zinc, le cadmium, le nickel. Ces plantes sont utilisées dans des projets de recherche ou des sites tests pour réduire le niveau de métaux dans les sols.
D’autres espèces tolérantes ou stabilisatrices, qui ne retirent pas forcément les métaux mais les immobilisent, empêchent leur dispersion (par ruissellement, lessivage) : herbes, poacées (graminées), arbustes, etc.
Témoignages encourageants et cas pratiques
Le projet "Jardiner sur un sol pollué" en Wallonie montre que même dans les zones proches des friches industrielles, des jardins collectifs peuvent produire des légumes alimentaires, en adaptant les pratiques. Nous travaillons dans cet esprit.
En France, le programme "PROLIPHYT (2014-2019)" a testé plusieurs essences de ligneux pour stabiliser ou extraire des métaux lourds sur des sites pollués, montrant que même à grande échelle, ces méthodes sont possibles.
Vu ce que nous avons déjà fait (analyses, plantation de plantes dépolluantes), nous continuons à renforcer notre jardin pour améliorer la qualité des récoltes, et diminuer la pollution au fil du temps :
Nous introduisons des rotations entre les cultures alimentaires et des cycles de plantes dépolluantes et des engrais verts, pour réduire la charge polluante globale.
Nous amendons : ajoutons de la matière organique (compost, fumier mûr), phosphates naturels, chaux, etc., pour fixer les métaux, améliorer le pH, réduire la mobilité.
Nous surélevons certaines plantations dans des jardinières avec des terres propres pour les cultures sensibles (mâche, laitue, herbes fines, etc.).
Nous optimisons les pratiques de culture: paillage, couverture végétale, évitons les labours profonds qui mélangent les couches très polluées, nous entretenons le sol pour favoriser la biodiversité (vers de terre, champignons), ce qui aide à immobiliser les polluants.
Nous surveillerons: en continuant les analyses périodiques et en inscrivant les résultats dans votre journal de bord, le long terme est meilleur indicateur que le résultat ponctuel.
les choses peuvent s’améliorer
Les techniques de phytoremédiation progressent, avec des recherches européennes et locales qui améliorent les espèces, les mélanges et les pratiques pour obtenir des rendements alimentaires sûrs.
La législation sur les seuils de pollution, l’information et l’accompagnement des jardins urbains et collectifs se renforce. Des ressources publiques existent pour aider les potagers à mesurer les risques et à adapter leurs pratiques.
Le mouvement pour les produits locaux, la biodiversité, l’agroécologie encourage les pratiques respectueuses du sol, y compris dans les zones affectées historiquement. Nous faisons partie de ce mouvement et le syndicat d'initiative de Seraing soutient des projet tel que "Nourrir Seraing autrement"
Chaque jour, nous nous améliorons un peu plus
non seulement parce que c'est notre devise mais aussi parce que notre jardin vit, parce que nos gestes disciplinés transforment la terre, pas à pas, vers plus de santé, de résilience, et d’espoir.
Bibliographie & références
Potager sur sol pollué — Environnement Wallonie. Guide des risques et pratiques. L'Environnement en Wallonie
La phytoremédiation : utiliser les plantes pour dépolluer les sols contaminés — Action Climatique. Action Climatique
Zoom sur la phytoremédiation des métaux lourds — Mediachimie. Média Chimie
Des plantes pour dépolluer les sols ? — Le Soir (Belgique). Études sur Noccaea caerulescens, etc. lesoir.be

